Le
débat actuel sur la notation des élèves exige une élucidation conceptuelle, car
noter, évaluer et juger sont des actions distinctes. Juger, c’est exercer sa
raison pour discerner le vrai du faux, le juste de l’injuste, le beau du laid,
le bien du mal. Évaluer c’est attribuer une valeur, un prix. Noter c’est faire correspondre
une réalité avec une échelle graduée. La notation est un type d’évaluation, qui
est elle-même un type de jugement. Alors vaut-il mieux juger explicitement par
des mots, ou implicitement par l’attribution d’une valeur numérique ?
Il
faut d’abord envisager la question de la notation / évaluation des
élèves dans un contexte de généralisation des notes à tous les secteurs de la
vie, qui est elle-même le symptôme d’une réduction généralisée de toutes les
valeurs, à une seule : le prix. Ainsi, la notation des élèves est le
premier maillon d’une chaîne continue qui relie l’éducation à l’économie, dans
un jeu d’équivalence travail / note / diplôme / salaire.
Les enfants, les enseignants et les familles comprennent confusément cet enjeu,
qui crée un sur-stress autour des notes.
Il
faut ensuite distinguer la question de la notation / évaluation et
celle du jugement de l’enseignant. Les enfants ont besoin du jugement de l’adulte
pour se construire, mais ils ne savent pas encore bien distinguer un jugement
sur leur travail et un jugement sur leur personne. Ainsi la note, en deçà d’un
certain âge, est toxique par la confusion qu’elle entretient entre une valeur
morale « bien », « mal » et une valeur épistémique « vrai »,
« faux ». Les enfants ont besoin de savoir où ils en sont dans l’apprentissage,
or savoir qu’ils ont 11/20 ou C à tel exercice, 10/20 de moyenne générale, ne
leur apprend rien. Ils ont besoin que l’enseignant juge à la fin d’une séquence
1) ce qu’ils savent, ce qu’ils maîtrisent, 2) ce qu’il sont encore en train d’apprendre,
3) où ils se situent dans une vision générale de la discipline, de la matière, de
la connaissance ou du savoir-faire en question. Ces trois jugements doivent être
explicités à intervalles réguliers, tout au long de l’année, l’élève sait ainsi
clairement où il en est dans son cheminement personnel d’apprentissage.
Mais
la note ne vient pas seulement embrouiller la perception par l’élève du
jugement de l’enseignant, elle a pour effet hyper-toxique de disqualifier l’erreur
– assimilée à une faute - : soit elle ne vaut rien, aucun point, soit elle
a même une valeur négative (notamment en orthographe) Les enfants apprennent
ainsi à redouter, craindre, détester l’erreur alors même qu’elle est la trace
tangible de l’intelligence apprenante. « Tous les abus du monde s’engendrent
de ce qu’on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance. »
Montaigne.
L’extension
indéfinie du domaine de la notation se fait au dépend de celui du jugement de
raison et de ce qui le fortifie : l’esprit critique.