jeudi 11 décembre 2014

Noter, évaluer, est-ce juger ?



Le débat actuel sur la notation des élèves exige une élucidation conceptuelle, car noter, évaluer et juger sont des actions distinctes. Juger, c’est exercer sa raison pour discerner le vrai du faux, le juste de l’injuste, le beau du laid, le bien du mal. Évaluer c’est attribuer une valeur, un prix. Noter c’est faire correspondre une réalité avec une échelle graduée. La notation est un type d’évaluation, qui est elle-même un type de jugement. Alors vaut-il mieux juger explicitement par des mots, ou implicitement par l’attribution d’une valeur numérique ?
Il faut d’abord envisager la question de la notation / évaluation des élèves dans un contexte de généralisation des notes à tous les secteurs de la vie, qui est elle-même le symptôme d’une réduction généralisée de toutes les valeurs, à une seule : le prix. Ainsi, la notation des élèves est le premier maillon d’une chaîne continue qui relie l’éducation à l’économie, dans un jeu d’équivalence travail / note / diplôme / salaire. Les enfants, les enseignants et les familles comprennent confusément cet enjeu, qui crée un sur-stress autour des notes.
Il faut ensuite distinguer la question de la notation / évaluation et celle du jugement de l’enseignant. Les enfants ont besoin du jugement de l’adulte pour se construire, mais ils ne savent pas encore bien distinguer un jugement sur leur travail et un jugement sur leur personne. Ainsi la note, en deçà d’un certain âge, est toxique par la confusion qu’elle entretient entre une valeur morale « bien », « mal » et une valeur épistémique « vrai », « faux ». Les enfants ont besoin de savoir où ils en sont dans l’apprentissage, or savoir qu’ils ont 11/20 ou C à tel exercice, 10/20 de moyenne générale, ne leur apprend rien. Ils ont besoin que l’enseignant juge à la fin d’une séquence 1) ce qu’ils savent, ce qu’ils maîtrisent, 2) ce qu’il sont encore en train d’apprendre, 3) où ils se situent dans une vision générale de la discipline, de la matière, de la connaissance ou du savoir-faire en question. Ces trois jugements doivent être explicités à intervalles réguliers, tout au long de l’année, l’élève sait ainsi clairement où il en est dans son cheminement personnel d’apprentissage.
Mais la note ne vient pas seulement embrouiller la perception par l’élève du jugement de l’enseignant, elle a pour effet hyper-toxique de disqualifier l’erreur – assimilée à une faute - : soit elle ne vaut rien, aucun point, soit elle a même une valeur négative (notamment en orthographe) Les enfants apprennent ainsi à redouter, craindre, détester l’erreur alors même qu’elle est la trace tangible de l’intelligence apprenante. « Tous les abus du monde s’engendrent de ce qu’on nous apprend à craindre de faire profession de notre ignorance. » Montaigne.
L’extension indéfinie du domaine de la notation se fait au dépend de celui du jugement de raison et de ce qui le fortifie : l’esprit critique.