Dans
les futurs livres d’histoire, un chapitre intitulé « L’ère des colères » pourrait recouvrir la période inaugurée
après la chute du bloc de l’est, poursuivie avec les printemps arabes, la
montée de l’islamisme radical, l’avènement des populismes autoritaires,…et, en France, le mouvement des gilets jaunes. On y lira
peut-être que cette colère des peuples contre leurs élites politiques, aura
puisé son énergie motrice dans le ressentiment d’être ignoré, humilié, méprisé
par « ceux d’en haut », qu’elle aura été boostée par les réseaux, puis,
devenue hyperbolique, incontrôlable, qu’elle aura entraîné, en Amérique, en
Europe et ailleurs, une dérive autoritaire de la démocratie.
S’interrogeant
sur l’une des sources de cette colère des peuples, peut-être envisagera-t-on
cette piste : la promesse néolibérale du bonheur pour tous par la
consommation. Celle-ci avait permis d’obtenir le consentement le plus large au
processus capitaliste de production et d’accumulation, et à une répartition
inégale des richesses. Or cette promesse de croissance permanente a fondu comme
la banquise par l’effet du dérèglement climatique. En effet, celui-ci
impliquait des « efforts d’adaptation », mais sans remise en question
du partage inégal des richesses, consenti à l’ère précédente, celle où l’on
pouvait croire que l’enrichissement d’une minorité profiterait in fine au plus
grand nombre. Il y aurait donc eu un désenchantement du monde néolibéral du
chacun pour soi, une désillusion qui aura souterrainement alimenté la colère
des oubliés de la croissance et du pillage des ressources naturelles.
Mais
voici une question pour le présent : Qu’attendre de la démocratie à l’ère
des colères ? Le régime qui semble le mieux lui correspondre est la
démocrature populiste, la tyrannie majoritaire. Dans ce contexte, le référendum
d’initiative populaire risque d’être un instrument de restriction des droits,
des libertés et une arme contre certaines catégories boucs émissaires, s’il
n’est pas accompagné d’un renforcement du véritable fond de la démocratie, la
délibération,…et de certains garde-fous. Par exemple, vues ses conséquences, adopter
une décision aussi importante que le Brexit avec une majorité étriquée de 51,9%
des suffrages, ne semble pas conforme à l’idéal démocratique. Ainsi, le r.i.c.
devrait être bordé de garde-fous qui empêchent son exploitation
populiste : des conférences citoyennes de consensus largement médiatisées,
un quorum des suffrages exprimés, et un seuil majoritaire adapté à l’enjeu –
60% aurait semblé raisonnable dans le cas du Brexit. En l’absence de ces
garde-fous, le r.i.c. à l’ère des colères risque fort d’être une arme contre
les libertés, les minorités,… et la démocratie elle-même.