L’époque
est encore récente où la délation était considérée comme un vice, un signe de
lâcheté, une manifestation des passions tristes les plus viles. Les temps
changent : la voici promue au rang d’impératif moral, une opération de
salubrité publique. « Dénonce ton porc » est en somme la version 2.0 de
« Indignez-vous ». Quand certains s’émerveillent de cette libération
de la parole, j’y vois deux signes très inquiétants.
- Premier
signe, celui de la mutation anthropologique en cours : l’humanité 2.0 des
consommateurs connectés aux réseaux sociaux érode peu à peu les relations
sociales obsolètes de l’humanité old style, où les conflits entre individus
étaient arbitrés par la justice, d’autant plus lente que ralentie par un vieux
machin, la présomption d’innocence. Dans l’humanité 2.0 il n’y a que du noir et
du blanc, la dénonciation publique est l’arme des « gentils » contre
les « méchants », ainsi les délatrices sont d’innocentes victimes mues
par une saine indignation, les perverses, les menteuses, les calomnieuses
n’existent pas ou sont quantité négligeable. Symétriquement, les dénoncés ont
forcément quelque chose à se reprocher, car il n’y a pas de fumée sans
feu ! Après tout si pour épingler les salauds – les porcs sont des animaux
intelligents et déjà trop maltraités – il faut sacrifier quelques innocents, le
jeu en vaut la chandelle, Dieu 2.0 reconnaîtra les siens ! L’horizon de
cette humanité nouvelle ? Il est déjà partiellement atteint : l’évaluation
généralisée de chacun par tous. L’enfer.
- Deuxième
signe, celui d’une dérive politique. L’appel à la délation comme devoir civique
était jusqu’ici considéré comme caractéristique des régimes autoritaires, voire
totalitaires. De ce point de vue,
#denoncetonporc résonne avec deux autres ingrédients essentiels de cette
dérive : la montée des populismes et l’effritement des libertés
individuelles. Le premier dresse un peuple fantasmatique et anonyme contre des
élites bien spécifiées et corrompues, le second sacrifie les droits individuels
sur l’autel de la sécurité. Principe général des trois symptômes : le
peuple est constitué de braves gens qui n’ont rien à craindre, ni du sacrifice
de quelques libertés, ni d’un appel à la dénonciation publique.
Alors
émerveillons-nous à notre tour, si l’émancipation du peuple et la libération des
femmes passent par la délation, attendons joyeusement la création imminente d’un
site dédié : delation.gouv.fr !
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