jeudi 18 mai 2017

Que faut-il changer pour que rien ne change ?



« Il faut que tout change, pour que rien ne change ! » dit le jeune et ambitieux Tancredi incarné par Alain Delon dans Le Guépard de Visconti. Au risque de gâcher la fête joyeuse des fans notre J.F.K. alias Emmanuel Macron, il me semble que cette formule résume parfaitement la situation, et que c’est ainsi qu’il faut comprendre le progressisme macronien, son opposition au conservatisme de nos vieux partis, et le renvoi annoncé aux poubelles de l’histoire du « vieux » clivage droite / gauche. Qu’en est-il ?
Le conservateur défend le présent quand le progressiste est tourné vers le futur, et le réactionnaire vers le passé. Ainsi le progressisme a longtemps été un attribut spécifique de la gauche, magnifiquement exprimé par cette formule poétique « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi ! ». Le progrès signifiait en ce temps là l’émancipation des hommes vis-à-vis de toutes les formes d’aliénation, économiques, sociales, politiques, religieuses, culturelles, …
Mais le progrès est un concept flou, puisque son sens originel est l’avancée d’un processus, y compris quand il échappe à toute volonté, comme le progrès d’une maladie. En l’occurrence le progrès macronien exprimé comme « nécessité de réformer », « urgence de moderniser », c’est la litanie habituelle de l’adaptation au processus néo-libéral mondial qui effrite peu à peu le socle de protections et de droits qui servait de base aux individus, qui dissout les vieilles solidarités, qui réduit toutes les valeurs à une seule, le prix, qui détruit la nature. Le label, ou plutôt la marque « En marche » se comprend alors non comme un effort de la volonté, mais plutôt comme un lâcher-prise, l’abandon de toute résistance, de toute adhésion rigide aux cadres du passé, pour se couler dans le courant néo-libéral né… au tournant des années 80. Ce « progressisme » apparaît dès lors comme l’ombre portée d’un conservatisme du présent, relooké avec les couleurs chatoyantes de la nouveauté : changement de génération, changement de style, changement de têtes…
Ainsi les rabat-joie voient l’élection de M. Macron comme un désastre… qui nous a sauvés d’une catastrophe !

jeudi 4 mai 2017

Ne pas choisir, qu'est-ce choisir ?



La conjonction « ou » désigne une alternative entre deux possibilités. Ainsi on peut faire une analyse logique de celle qui occupe tous les esprits en ce moment : « Le Pen ou Macron » (L. ou M.), soit sa version négative « ni.., ni… » (ni, ni). Logiquement cette alternative est une disjonction exclusive car il n’y a pas d’échappatoire, dimanche soir nous aurons L. ou nous aurons M. comme nouveau monarque républicain. « L. ou M. » s’apparente ainsi à « Être ou ne pas être », il n’y a pas d’autre issue.
Cependant c’est une tout autre alternative qui se joue dans l’esprit de chaque citoyen : « voter pour l’une ou pour l’autre », ou plutôt, pour près de 80% des électeurs, « voter contre l’une ou voter contre l’autre,… ou ne voter contre aucun des deux ». En effet, la 5ème République a ancré dans les esprits qu’au premier tour de l’élection du monarque républicain, le citoyen-sujet vote par conviction, « pour », alors qu’au second tour il vote par opposition, « contre ». Cependant le vote « contre » ayant progressivement phagocyté le premier tour sous la forme du « vote utile », il est subrepticement devenu le mode normal du vote. En cela notre système représentatif est à la démocratie ce qu’un jeu de téléréalité est vis-à-vis d’un concours au mérite (cf Conversation 119 Elections pièges à cons).
L’abstention est souvent décrite comme une posture ambiguë, or le choix « ni, ni » au deuxième tour de cette élection-ci signifie clairement le même rejet de L et de M, non pas qu’ils soient deux versions du même (bonnet blanc et blanc bonnet) comme c’était le cas pour le choix PS vs LR (le social-libéralisme vs le libéralisme social), mais plutôt deux « nuisances » équivalentes. Qu’en est-il ? Pour y voir clair, il faut mettre de côté les personnes et les programmes pour aller au fond idéologique de l’alternative. D’un côté le libéralisme social continue avec sans doute plus de précarité et de difficultés pour « ceux d’en bas », de l’autre le nationalisme s’installe avec son fond historique de xénophobie, de racisme et d’antisémitisme. Ces deux nuisances seraient-elles équivalentes ? Mme Le Pen aurait donc parfaitement réussi son entreprise de « dédiabolisation » du FN, devenu un parti comme les autres, en tout cas pas pire que les autres ? Je propose à ceux qui hésitent encore pour l’option du « ni ni », de faire le test suivant : dites à vous-mêmes et à vos proches « La xénophobie, le racisme et l’antisémitisme ne sont pas pires que le néo-libéralisme, la finance débridée et l’ubérisation ». Si vous n’avez aucun problème pour le dire, abstenez-vous, vous êtes cohérents avec vous-mêmes.