lundi 10 avril 2017

La vérité est-elle une valeur démocratique ?



Dans cette campagne électorale crépusculaire, la question de la vérité se réduit à la publicité des patrimoines et des revenus des candidats, comme si cela avait le moindre rapport avec leur capacité à gouverner. Cette focalisation pointilleuse pose néanmoins une vraie question : la vérité est-elle une valeur démocratique ? Cela n’a rien d’évident car la vérité est, au sens fort, univoque et indépendante des points de vue individuels, alors que la démocratie implique par définition la coexistence d’une pluralité d’opinions et de conceptions de la vie bonne. Cependant la vérité est une valeur démocratique cardinale dans la mesure où elle sert justement à départager les opinions soumises à la discussion. Quant aux discours politiques, leur valeur de vérité doit être jugée en fonction du monde qu’ils visent : le monde des idées, le monde matériel ou le monde vécu. Enfin, ça c’était avant…
Dans le monde des idées, la valeur de vérité des doctrines politiques dépendait de leur cohérence et d’un rapport à la réalité patiemment élaboré par de grandes figures intellectuelles. Aujourd’hui les idéologies se réduisent à la logique d’idées simples - au choix : la préférence nationale, le revenu de base, le ni-droite-ni-gauche, la corruption des élites, le péril migratoire, le redressement national, le rétablissement des frontières,…
Dans le monde matériel, l’évidence de faits établis par des experts reconnus s’imposait à tous et constituait une base stable et commune pour le débat. Mais à l’ère des réseaux sociaux, le fact checking se révèle totalement impuissant – comme face à Trump ou au Brexit. Dans le foisonnement des médias, il ne reste plus comme source digne de confiance que celle qui pense comme moi, celle qui affirme ce que je « sais » déjà.
Quant au monde vécu, celui des émotions et des opinions individuelles, c’est celui que visent le rhéteur, le tribun ou le bonimenteur, ici la « vérité » se confond avec l’efficacité d’un discours qui sonne juste à mes oreilles, qui me parle, qui résonne émotionnellement avec ma vision du monde.
La valeur démocratique d’une vérité objective indépendante des opinions personnelles s’efface ainsi peu à peu au profit d’un vague sentiment de vérité, un simple effet du discours. Cette réduction de la vérité à sa dimension purement subjective est un symptôme du dernier stade de l’ordre représentatif, l’oligarchie élective, que nous nommons par abus de langage « démocratie » : l’ère de la téléréalité politique.
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Gramsci