Nous sommes dorénavant dans l’ère de
la « dés-élection », celle
où le vote « contre » supplante peu à peu le vote « pour »,
celui qui était motivé autrefois par la loyauté à un camp, un parti, un homme. On
n’élit plus un candidat, on dés-élit
ses adversaires. Le système électoral mime ainsi de plus en plus ces jeux où
les spectateurs doivent éliminer des candidats. Ainsi Trump a été élu moins par
des votes « pour », que par des votes-sanction « contre » la
candidate de l’establishment, Hillary Clinton. L’élection était fondée sur un
projet, l’idée d’un avenir commun, la « désélection » est surtout
conditionnée par la sanction d’un passé - promesses non tenues, « affaires »,
… -, ou le rejet d’un présent, réel ou fantasmé, – immigration incontrôlée,
insécurité croissante, élites corrompues…
La dés-élection
joue aussi à un autre niveau. En effet chaque élection est en même temps qu’un
vote pour / contre un candidat, un vote pour l’institution-même du
vote, or une part croissante des électeurs rejette le système en lui-même, en
faisant défection (non-inscription sur les listes électorales, votes blancs ou
nuls). Ainsi la défiance vis-à-vis du système politique a atteint un point tel
qu’on pourrait se demander comment il tient encore debout. Mais contrairement
au premier niveau de dés-élection, le
second ne débouche pas sur un choix, aussi le système perdure malgré la généralisation
progressive de la défiance, la désillusion et la défection. Il y a bien des
candidats qui se prétendent « anti-système », mais leur position
n’est guère tenable car elle consiste au fond à scier la branche sur laquelle
ils sont assis : comment pourraient-ils mettre à bas un système qui leur
permet d’exister, occuper une place dans l’espace politico-médiatique, toucher
des subventions, capter des postes de pouvoir. Exemple tout frais : Trump,
aussitôt élu, jouant le président « normal », en abandonnant
immédiatement la posture subversive anti-système qui avait permis son élection.
Alors comment voter dans un tel régime ?
D’abord
il faut réaliser que la dés-élection ne
caractérise pas la démocratie mais une post-démocratie, dont elle constitue une
dérive, un déclin, une perversion. Qu’y-a-t-il au terme de ce processus ? Au
fond, il n’y a guère que deux scénarii envisageables : un régime
autoritaire contre-démocratique, ou une régénération de la démocratie. Les amis
de la liberté voteront pour empêcher le premier d’advenir, et agiront pour
initier la seconde. Quant à moi, en dehors du cas d’urgence, je ne donnerai ma
voix qu’à un candidat qui s’engagera, aussitôt élu, à réunir une assemblée
constituante indépendante de la classe politique en place, dont les débats
seront médiatisés, relayés localement, et déboucheront sur un référendum. En
l’absence d’un tel projet, je m’abstiendrai, et je continuerai à m’employer
modestement à faire en sorte que nous soyons le plus nombreux possible à penser
le plus possible, pour attiser la flamme démocratique, qui n’est pas le vote,
mais la délibération.