jeudi 24 mars 2016

Peut-on être à la fois islamophobe et antiraciste ?



            Les concepts n’existent pas hors-sol dans le Ciel des Idées, ils sont historiques, leur sens est modifié par le cours de l’histoire. Ainsi, le vocable « communiste » n’a pas le même sens au moment où est publié le Manifeste du parti communiste en 1848, en 1870, en1917, en 1956 ou en 1968. De même l’émergence de l’islamo-fascisme - c’est bien ainsi qu’il convient de le nommer – met à l’épreuve le concept d’islamophobie.
Il est hors de doute que les islamo-fascistes de Daesh, Aqmi ou Al Qaida sont racistes : les « mécréants » sont pour eux ce qu’étaient les juifs ou les tsiganes pour les nazis, des rebuts de l’humanité à exterminer. Ainsi tout musulman se trouve selon moi dans la situation d’un allemand à l’époque hitlérienne, ou d’un communiste à l’époque stalinienne ; il devrait se sentir contraint moralement à mettre en question son appartenance à une communauté au nom de laquelle des atrocités sont commises. Un allemand en 1940 ou un communiste en 1956, ayant un tant soit peu de sens moral, ne pouvait que se sentir honteux. La honte est un sentiment qui devrait amener celui qui le ressent à se questionner : Qu’ai-je fait pour empêcher ça ? Que puis-je faire pour que cela cesse ? La honte ne va pas non plus sans humilité : je ne peux plus arborer comme un drapeau mon appartenance à un groupe qui suscite légitimement la méfiance, la crainte, voire l’hostilité.
Combien de musulmans ont abjuré leur appartenance religieuse ? Combien y a-t-il eu de fatwas contre Daesh ? Combien de musulmans ont manifesté publiquement leur révolte contre l’islamo-fascisme ? Combien sont partis en Syrie rejoindre les opposants contre Daesh ? Combien ont cessé de porter la barbe ou le voile ? Bien trop peu, me semble-t-il, au regard du milliard et demi de musulmans sur la terre. L’Islam m’apparaît donc comme une idéologie qui affaiblit le sens moral. Suis-je pour autant islamophobe ?
L’islamophobie est un concept ambigu : littéralement, la phobie de l’Islam est une angoisse ou une aversion irraisonnée voire pathologique face à toute manifestation d’appartenance à l’Islam, elle relève de la psychologie, alors que l’islamophobie au sens usuel relève d’une catégorie morale et politique : le racisme. Une nouvelle signification de l’islamophobie émerge aujourd’hui par la force du cours de l’histoire : ni phobie pathologique, ni haine raciste, juste la honte, le sentiment empathique d’avoir honte pour l’autre. Or avoir honte pour quelqu’un c’est le reconnaître comme une personne morale à part entière. Par ailleurs le respect est dû aux individus, nullement aux idéologies. Alors, en ce sens, et en ce sens seulement, je suis à la fois islamophobe et antiraciste.


                                                           

dimanche 6 mars 2016

Travailler, à quoi est-ce utile ?




La réforme du droit du travail est une nouvelle occasion de voir la « gauche » faire une réforme que la droite n’a pas osé faire. Plus de flexibilité, moins de « rigidité », soit en clair plus d’exploitation et moins de protections, sacrifiées sur l’autel de la croissance et de l’emploi. Cette réforme provoque justement un mouvement d’interrogation sur la légitimité et sur l’efficacité de ce sacrifie, surtout quand il est opéré par un gouvernement qui se prétend de « gauche ». Mais il y aurait aussi une occasion de s’arrêter un instant sur la centralité du travail dans notre vie. Travailler, à quoi est-ce utile ?
Il y a bien sûr l’utilité économique, celle qui crée de la plus-value, des bénéfices, des dividendes, mais aussi les salaires et la consommation.
Il y a l’utilité sociale et environnementale, celle qui renforce les liens entre les individus, préserve nos biens communs, développe l’autonomie locale.
Il y a enfin l’utilité pour soi, celle qui répond à nos besoins primaires et celle qui nous humanise : l’expression de soi, la connaissance, l’amitié, l’amour, la politique,…
Le travail c’est l’effort en vue de l’utilité, dans ces trois sens.
Les trois utilités se recouvrent mais l’utilité économique, en régime capitaliste, est devenue une sphère autonome, faisant de l’économique le critère exclusif de l’utilité, ou d’un autre point de vue, la réduction de toutes les valeurs à une seule : le prix. La sphère économique a aussi réduit le travail à l’emploi, et l’emploi au salariat, c’est en ce sens qu’on parle d’un code du travail. Le capitalisme fait donc oublier cette évidence : l’utilité économique n’est qu’un moyen en vue des deux autres utilités réellement humanisantes. Si l’on considère la misère comme l’inutilité à soi et aux autres, on peut dire que le régime capitaliste produit deux misères symétriques : celle d’être exploité, et celle de ne pas l’être. La première met les travailleurs au service exclusif de l’utilité économique, la seconde fait du chômeur un « inutile ».
            De ce point de vue, nous vivons sous un régime du travail où la misère d’être exploité n’est rien en comparaison à celle de ne pas être exploité ! Quel code du travail changera ce triste constat ?