jeudi 21 janvier 2016

Faut-il penser l'impensable ?




  

     Si expliquer c’était déjà excuser, il faudrait renoncer à expliquer l’inexcusable, et concéder aux terroristes une victoire symbolique : la dévaluation de la recherche de vérité comme aveu de faiblesse. Qu’en est-il ?
Expliquer un acte c’est remonter à ses causes, selon la formule de Spinoza « Les hommes se croient libres pour la seule raison qu’ils sont conscients des leurs actions, et ignorants des causes par quoi elles sont déterminées ».
Excuser c’est comprendre un acte ou bien pardonner son auteur. L’excuse est ainsi un concept ambigu : il relève soit de la justification (au sens du mot d’excuse), soit du pardon (au sens de la formule « excusez-moi »), mais ces deux dimensions sont indépendantes car on peut comprendre sans rien pardonner, ou pardonner sans rien comprendre.
Pour y voir clair il faut encore distinguer la démarche explicative de la compréhension : la première vise les causes de l’acte, la seconde les raisons d’agir de son auteur. Je pense comme Spinoza que les causes déterminantes d’un acte - sociales, économiques, culturelles, psychologiques, idéologiques - échappent globalement aux individus, contrairement aux raisons qu’ils se donnent de faire ce qu’ils font, une rationalisation, une histoire qu’ils se racontent, pour justifier a posteriori un acte déterminé inconsciemment. Ce constat ne dédouane aucunement les auteurs de l’acte, ni de leur liberté ni de leur responsabilité : disons que nous somme à 100% déterminés à vouloir faire ceci ou cela, mais à 100% libres de passer à l’acte, ou pas (sauf en cas de maladie mentale ou de l’effet d’une drogue).
Ainsi il me semble qu’expliquer n’est aucunement excuser. La science nous dit qu’aucun acte n’est inexplicable, la morale nous dit qu’il y a des actes inexcusables. En l’occurrence il faut inlassablement chercher les causes de la radicalisation de certains jeunes, sans rien excuser de leur passage à l’acte. Penser l’impensable c’est tenter de pénétrer l’univers mental de ceux qui nous paraissent radicalement autres, ceux qui ont déserté le monde commun, et prétendent qu’ils ne peuvent pas coexister avec nous. Expliquer leurs actes, c’est les réintroduire de force dans notre monde, les empêcher de faire « monde à part ».

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