jeudi 15 décembre 2016

Avons-nous encore besoin d'un monarque républicain ?




L’élection n’est pas le critère distinctif spécifique de la démocratie. En effet, comme le disait Montesquieu, « Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie, le suffrage par le choix est celle de l’aristocratie ». Mais l’indigence flagrante de notre classe politique ne permet d’en faire une « élite » ni du point du vue intellectuel ni du point de vue du courage ou de la morale. La 5ème République est bien plutôt une monarchie élective, comme celle qui avait cours chez nos ancêtres les Gaulois. Qu’est-ce qui distingue un chef d’Etat démocratique et un monarque ? L’étendue de son pouvoir, l’obligation de rendre des comptes sur ses actes, notamment ses accords plus ou moins formels avec des chefs d’Etats étrangers. Dans une monarchie constitutionnelle, les pouvoirs du monarque sont définis et limités par une Constitution, alors que ceux d’un despote ne sont limités par aucune instance supérieure. Cependant le monarque n’a aucun compte à rendre - devant le parlement notamment - son pouvoir est discrétionnaire, tant qu’il n’outrepasse pas les limites de la Constitution. Ainsi en est-il de nos Rois-Présidents de 5ème République. Ils ont un pouvoir exorbitant, sans obligation de rendre des comptes devant qui que ce soit durant la durée de leur mandat, et sans contre-pouvoir, du moins tant que la majorité parlementaire est de leur bord.
Le monarque républicain a été institué pour incarner l’unité de la Nation, renforcer au maximum le pouvoir exécutif, avec une légitimité très forte puisqu’elle émanait de la majorité du corps électoral. Aujourd’hui le monarque est un colosse aux pieds d’argiles : sa base électorale se situant entre 20 et 30% maximum, son pouvoir d’agir est d’une part limité dans le cadre des instances européennes, d’autre part fragilisé car il se fait désormais systématiquement dans un affrontement avec le « peuple de droite » - la manif pour tous – ou le « peuple de gauche » – Nuit debout.
La monarchie républicaine est donc aujourd’hui une coquille vide, dont le seul mérite est la kermesse électorale qui, tous les cinq ans, réanime le corps électoral, lui permet d’exprimer des idées et des projets, qui seront lettre morte quand la fête sera finie. Rendez-vous dans 5 ans pour la prochaine kermesse. En attendant notre monde s’effondre du point de vue social et écologique… mais le spectacle continue !

mercredi 9 novembre 2016

Comment voter en régime de dés-élection ?



            Nous sommes dorénavant dans l’ère de la « dés-élection », celle où le vote « contre » supplante peu à peu le vote « pour », celui qui était motivé autrefois par la loyauté à un camp, un parti, un homme. On n’élit plus un candidat, on dés-élit ses adversaires. Le système électoral mime ainsi de plus en plus ces jeux où les spectateurs doivent éliminer des candidats. Ainsi Trump a été élu moins par des votes « pour », que par des votes-sanction « contre » la candidate de l’establishment, Hillary Clinton. L’élection était fondée sur un projet, l’idée d’un avenir commun, la « désélection » est surtout conditionnée par la sanction d’un passé - promesses non tenues, « affaires », … -, ou le rejet d’un présent, réel ou fantasmé, – immigration incontrôlée, insécurité croissante, élites corrompues…
La dés-élection joue aussi à un autre niveau. En effet chaque élection est en même temps qu’un vote pour / contre un candidat, un vote pour l’institution-même du vote, or une part croissante des électeurs rejette le système en lui-même, en faisant défection (non-inscription sur les listes électorales, votes blancs ou nuls). Ainsi la défiance vis-à-vis du système politique a atteint un point tel qu’on pourrait se demander comment il tient encore debout. Mais contrairement au premier niveau de dés-élection, le second ne débouche pas sur un choix, aussi le système perdure malgré la généralisation progressive de la défiance, la désillusion et la défection. Il y a bien des candidats qui se prétendent « anti-système », mais leur position n’est guère tenable car elle consiste au fond à scier la branche sur laquelle ils sont assis : comment pourraient-ils mettre à bas un système qui leur permet d’exister, occuper une place dans l’espace politico-médiatique, toucher des subventions, capter des postes de pouvoir. Exemple tout frais : Trump, aussitôt élu, jouant le président « normal », en abandonnant immédiatement la posture subversive anti-système qui avait permis son élection.
Alors comment voter dans un tel régime ?
D’abord il faut réaliser que la dés-élection ne caractérise pas la démocratie mais une post-démocratie, dont elle constitue une dérive, un déclin, une perversion. Qu’y-a-t-il au terme de ce processus ? Au fond, il n’y a guère que deux scénarii envisageables : un régime autoritaire contre-démocratique, ou une régénération de la démocratie. Les amis de la liberté voteront pour empêcher le premier d’advenir, et agiront pour initier la seconde. Quant à moi, en dehors du cas d’urgence, je ne donnerai ma voix qu’à un candidat qui s’engagera, aussitôt élu, à réunir une assemblée constituante indépendante de la classe politique en place, dont les débats seront médiatisés, relayés localement, et déboucheront sur un référendum. En l’absence d’un tel projet, je m’abstiendrai, et je continuerai à m’employer modestement à faire en sorte que nous soyons le plus nombreux possible à penser le plus possible, pour attiser la flamme démocratique, qui n’est pas le vote, mais la délibération.

jeudi 29 septembre 2016

Nos ancêtre sont-il gaulois ?



Nul doute que la question de l’identité nationale va contaminer les débats des mois à venir. En voici une version : Avons-nous besoin de la fiction d’une origine commune ? Le mot « nation » repose en grande partie sur ce mythe qui semble nécessaire pour faire d’un ensemble hétérogène d’individus un corps politique unifié : le peuple. Mais ce mythe est aussi un poison car il contient en germe l’idée toxique que les français constituent une ethnie avant d’être un corps politique. Le « gaulois », c’est le « français de souche » pour les nationalistes… mais aussi le « blanc, face de craie » pour les enfants d’immigrés des quartiers « populaires ». Il apparaît donc que gaulois est un terme qui sert à la fois à unifier et à discriminer. Alors faut-il continuer à enseigner dans les écoles le catéchisme républicain « nos ancêtres les Gaulois » ? Je pense que oui, à condition d’expliquer dans le même temps deux choses essentielles :
-       Être français n’est pas une question d’ethnie, c’est l’inscription dans une Histoire collective qui se superpose aux histoires familiales des individus. Ainsi d’une part notre identité est multiple, d’autre part le « Nous » n’est pas simplement l’addition de tous les « je » ;
-       L’identité est un terme totalement ambivalent puisqu’il renvoie à ce qui permet de m’identifier en me distinguant des autres, mais aussi à ce qui me rend identique aux autres. Si être français est une question d’ancêtres, la France est au fond une nation comme n’importe quelle autre. Ce qui la distingue en fait c’est une culture, une langue et un héritage singulier, celui des Lumières : une vocation à l’universel.
Enfin, s’il faut unifier le corps composite, pluriel et hétérogène du peuple français, le mythe de l’origine commune est toxique s’il n’est pas immédiatement complété par l’affirmation d’une communauté de destin.

jeudi 15 septembre 2016

Comment utiliser les mots pour dé-radicaliser ?



« Mal nommer les choses c'est ajouter au malheur du monde » (Camus)
Il est urgent de repenser notre façon de parler des fous d'Allah, trouver un lexique à la fois objectif et pragmatique, car l’affrontement se joue d’abord dans les mots que nous utilisons, dont je prétends qu’ils sont actuellement  retournés contre nous comme un étendard symbolique : Daesh, Etat islamique, en guerre radicale contre le reste du monde, utilisant  le terrorisme pour réaliser un projet glorieux.
Chacun de ces vocables - Etat,  Islam, guerre, combattants, radicalité, terrorisme – est positif pour les soi-disant « radicalisés », y compris le dernier, parfaitement conforme au projet explicite de terroriser l'ennemi mortel, nous. Ainsi les médias font le jeu de Daesh en ignorant naïvement ce que les publicitaires savent bien : en matière de propagande, les mots sont plus importants que les propositions, ils parlent à l'imagination et à la sensibilité alors que les propositions parlent à l’entendement et à la raison. Par ailleurs, si l'on y regarde de plus près, aucun de ces mots ne désigne vraiment ce dont il est question.
Etat ? Il n'y a pas d'Etat constitué mais une secte armée implantée sur des territoires dont les frontières sont floues. Islam ? L’idéologie de cette secte n’est pas l’Islam – pas plus que celle des Enfants de Dieu n’est le christianisme – il s’agit d’une forme hybride, l’islamo-fascisme. Guerre ? La guerre relève d'un affrontement réglé entre ennemis clairement identifiés, or ici qui sont les ennemis de Daesh ? les français de toutes origines ? les occidentaux ? le reste de l'humanité ? Il s’agit en fait d’un projet génocidaire : éradiquer de la surface de la terre tous les « mécréants ». Combattants ? Ce terme implique le courage de se battre pour une cause, or aucun de ces « combattants » ne peut être qualifié de courageux et a fortiori d'héroïque. Il s’agit en fait d’esprits faibles, border-line ou psychopathes, soumis à une emprise mentale, une forme pathologique de servitude volontaire. Radicalité ? La radicalité consiste à revenir à la racine, à pousser ses principes jusqu'au bout, au fond un radical est quelqu'un qui vit ou agit en conformité avec ses principes. Il s’agit en fait d’absence totale de repères, une forme de nihilisme. Terrorisme ? Les allemands nommaient "terroristes" les résistants, d'ailleurs terroriser l'ennemi est une stratégie possible de la guerre, y compris la guerre « juste » comme la bombe nucléaire d'Hiroshima ou le bombardement de la ville de Dresde par les avions alliés (100 000 morts civils). Il s’agit là encore d’un projet génocidaire proche dans sa méthode du génocide rwandais : tuer n’importe qui n’importe où avec tous les moyens disponibles.
Voici donc les mots à la fois irrécupérables et objectivement fondés pour qualifier Daesh : une secte islamo-fasciste à visée génocidaire agissant par manipulation et emprise mentale sur des esprits faibles, semi-débiles, border-line ou psychopathes.

mercredi 27 avril 2016

Nuit debout, le temps du Demos est-il arrivé ?




La Nuit debout est autre chose qu’un mouvement d’opposition à la « loi travail », elle « ne revendique rien »… si ce n’est l’essentiel : l’aspiration à une démocratie « réelle ». En effet la démocratie ne peut qu’en un sens extrêmement faible s’accommoder d’une classe politique professionnelle, reconduite d’élections en élections, soumise à une idéologie unique, le néolibéralisme, sans jamais rendre de compte sur ses échecs, ses promesses non tenues, son incapacité chronique à dessiner les contours d’un avenir commun, à créer les conditions d’une solidarité entre les générations, entre les classes sociales. La question est d’autant plus cruciale que l’idée se généralise selon laquelle notre système, de fait une oligarchie élective, est à bout de souffle. La Nuit debout est-elle le moment historique d’une régénération démocratique, le moment du Demos ?
L’avènement du Demos, le Peuple souverain, implique le conjonction de la grève générale et de la réunion d’une assemblée constituante, moment exceptionnel à la fois insurrectionnel et institutionnel. A cette aune on mesure qu’on est loin, très loin de ce moment fondateur, même si on n’en a pas été aussi près depuis longtemps.
Mais Nuit debout est aussi, quoiqu’en disent ses acteurs, l’annonce d’un péril : la dérive vers un mode autoritaire de la démocratie – la démocrature – le démon du Demos. En opposant de façon manichéenne les élites et le peuple, les riches et le peuple, « eux » et « nous », le moment du Demos risque aussi d’être aussi celui des tribunaux populaires, des comités et des milices, du lynchage des « ennemis du peuple », eux, les autres qui ne veulent pas du changement, qui freinent le cours de l’histoire, les « réacs », les « fachos »,…
Quand la foule expulse un vieux philosophe sous les insultes et les crachats, pour cause de pensée non-conforme, les amis de la liberté doivent trembler.