dimanche 24 mai 2015

Faut-il en finir avec la laïcité ?



     Comment peut-on oser poser cette question au moment même où la laïcité semble être le dernier rempart de la civilisation contre la barbarie ? A cause d’un constat : la « laïcité » est un mot valise, un concept flou, qui veut dire tout et son contraire - la tolérance aussi bien que l’intolérance – et qui, au fil des glissements de sens, est devenue elle-même le signe ostentatoire d’un régime de redressement moral.
« Laïc » était originellement un terme du lexique ecclésiastique, distinguant au sein de l’Eglise la société chrétienne en charge des affaires profanes, du clergé en charge des affaires sacrées. Après la Révolution un premier glissement s’est produit : la « laïcité » désigne dorénavant le principe de coexistence pacifique entre croyants et non-croyants, catholiques et non-catholiques (juifs et protestants), qui a permis de fonder la République française en terre catholique, tout en s’émancipant de la tutelle de l’Eglise et en protégeant les minorités non-catholiques. On est ainsi passé du « laïcat » intégré à l’Eglise, séparant les mondes profane et le sacré, à la « laïcité », principe d’unité républicaine séparant les sphères publique et privée.
Puis une nouvelle mutation apparaît : le « laïcisme ». Il ne s’agit plus de protéger les minorités et garantir la neutralité religieuse de l’Etat, mais au contraire d’appeler à l’ordre moral en stigmatisant la religion, très minoritaire en France, d’un groupe confiné en bas de l’échelle sociale. Les invocations bêlantes à la laïcité sont ainsi devenues le signe ostentatoire de l’affrontement contre l’Islam, bouc émissaire de toutes les peurs, et cache-misère de la faillite de l’Etat social. C’est ainsi qu’on a vu cette chose inimaginable : un gouvernement appelant à manifester pour soutenir le droit au blasphème, devenu quasiment un devoir vis-à-vis de l’Islam, faisant passer au second plan l’assassinat de juifs en tant que juifs, qui même quand on tue des enfants, n’a jamais eu l’« honneur » d’une telle indignation collective.
L’esprit laïc implique l’esprit religieux comme son double complémentaire, séparé ou opposé, et les curés laïcs n’ont rien à envier à leurs homologues en matière de direction des esprits. Soyons comme Prévert intact de Dieu, et de la laïcité, ne laissons pas ses émissaires, ses commissaires, ses prêtres, ses directeurs de conscience, ses ingénieurs des âmes, ses maîtres à penser dicter notre conduite. Il faudrait en finir avec ce concept fourre-tout, totalement instrumentalisé de l’extrême droite à l’extrême gauche, et réaffirmer simplement 1) le principe de neutralité religieuse des institutions républicaines, 2) la liberté d’expression de la religion et de ses critiques dans l’espace public, 3) la condamnation de tous les fanatismes. Pour le reste, c’est à l’éducation de promouvoir la décence ordinaire qui allie la tolérance de l’altérité, la discrétion dans la manifestation d’une appartenance communautaire,… et l’idée que cracher sur la religion des autres… ça ne se fait pas.

vendredi 8 mai 2015

Peut-on accueillir toute la misère du monde ?



Poser la question en ces termes, c’est déjà y répondre. Elle n’est donc qu’un artifice rhétorique visant à justifier la fermeture des frontières, en évitant de poser la bonne question : Quelle politique serait juste vis à vis de ceux qui sont prêts à tout pour venir en Europe afin d’échapper à la guerre ou à la misère ?
Il faudrait d'abord prendre la juste mesure des images dont on nous gave à longueur de J.T, montrant des masses d’individus hagards et épuisés. Elles masquent le fait qu'il faut à chacun d’eux une détermination, une intelligence et un courage hors du commun. Bref loin des pauvres êtres sans ressources qu'on nous présente, les pays du sud nous offrent « gratuitement » la crème de leur richesse humaine. D’ailleurs, plusieurs études révèlent que les immigrés apportent plus à leur pays d’accueil qu’ils ne lui coûtent. Ainsi l’image, omniprésente dans les médias, d’un misérable cortège d’indigents transportés dans des bétaillères est totalement fallacieuse. 
Par ailleurs la politique de fermeture des frontières et d’internement des clandestins a un coût complètement exorbitant… comparé à sa dramatique inefficacité. Elle a aussi un effet de cliquet redoutable : ceux qui réussissent à passer malgré tous les obstacles seront prêts à tout pour rester car ils savent qu’ils n’auront probablement pas deux fois la même chance, ils sont donc condamnés à une vie misérable de clandestin, travaillant au noir et vivant dans des taudis insalubres.
Une porte est soit ouverte, soit fermée, c’est le piège logique qui nous enferme dans une alternative entre deux positions diamétralement opposées ; rejeter ou accueillir « toute la misère du monde ». Mais une frontière n’est pas une simple porte. Une politique intelligente et suffisamment courageuse pour résister à l’ambiance générale de repli sur soi, de peur et de xénophobie, consisterait à instaurer des visas d’entrée pour une durée déterminée, à un prix inférieur à celui des mafias de passeurs, à rendre plus simple et plus rapide l’examen des demandes d’asile, à conditionner la prolongation du visa aux conditions d’hébergement et de travail de celui ou celle qui en fait la demande, à être d’une fermeté redoutablement dissuasive avec les passeurs, les marchands de sommeils et les entreprises qui exploitent le travail au noir. Contrairement aux immigrés, le courage n'est pas la vertu la mieux partagée dans le milieu politique.