mercredi 22 avril 2015

Y a-t-il un salaire du bonheur ?



On a envie de chanter, comme les Charlots : « Merci Patron ! ». Il y aurait donc un salaire idéal, un salaire de l’idéal capitaliste enfin réalisé : la fraternité entre les patrons cools et les employés comblés. 75000 dollars – 66000 euros - par an, c’est vraiment le minimum pour pouvoir se payer tous les ans la camelote technologique up to date, habiter un quartier « safe », mettre ses gosses dans les meilleures écoles privées, et profiter de ses conges-payes à l’autre bout du monde, dans un club-vacances all inclusive. On en rirait presque, juste le temps de se souvenir que ce système nécessiterait cinq planètes si tout le monde y adhérait, et qu’il implique deux croissances indissociables l’une de l’autre : celle de la production industrielle et celle de l’évaluation du nécessaire pour mener une vie « heureuse ». C’est dire à quel point la croissance des revenus est aussi celle du manque et de la frustration.
Mais ce conte de fée au pays de l’Onc Picsou, nous ferait presque oublier le fonds de l’affaire, la nature profonde et originelle du salariat : une relation de domination et de subordination par laquelle un individu accepte de vendre son intelligence, son talent, sa force, et abdique son autonomie pour servir un autre. L’économie étant vécue sur le mode de la guerre, le modèle du salariat est l’embrigadement mercenaire dans une entreprise-armée, alors que celle-ci, comme toute entreprise collective, est avant tout une communauté politique. Alors que nous avons fait de la démocratie une valeur quasiment sacrée, comment peut-on tolérer que notre vie active soit sous le régime de l’autocratie et de la ploutocratie ? Coupure schizophrénique en chacun, entre le citoyen et le salarié. Ces vérités de base sont complètement escamotées par notre acculturation à la société de consommation. Y aurait-il malgré tout un salaire idéal, un salaire du « bonheur » ?
Il faut distinguer dans le salaire, le revenu de base qui permet la survie, le renouvellement de la force de travail, et le sur-salaire qui assure le pouvoir d’achat, la participation au banquet de la consommation. C’est ce dernier qui produit la motivation des troupes et l’assentiment à ce contrat faustien : oublie ton autonomie et ta capacité politique, et tu auras le dernier i phone. « Bonheur de pacotille » qui permet aussi d’oublier 1) que le salariat est le carburant de la pulsion d’accumulation qui ravage les sociétés et détruit la nature ; 2) que ce qui a de la valeur n’a pas de prix.

jeudi 9 avril 2015

Êtes-vous prêts à désobéir ?




La commémoration de la libération des camps nous rappelle que nous devrons sans doute un jour faire preuve d'esprit de transgression de la loi au nom de la justice. Sommes-nous prêts ? Rien n'est moins sûr.
Nous passons la majeure partie de notre vie au sein d'institutions qui sont, pour la plupart, des "structures de pouvoir" au sens où elles présentent des caractéristiques hiérarchiques et autoritaires : la famille, l'école, l'usine, le bureau, l'entreprise,...  En sapant insidieusement, jour après jour, les capacités de créativité et d'autonomie des individus, elles concourent à une fabrique institutionnelle de l'obéissance, du consentement et de l'impuissance. En réduisant la politique au champ clos de l'affrontement entre leaders de parti, notre "démocratie" participe pleinement à cette production massive de la résignation.
Nous savons tous courir, mais si nous ne courons jamais, notre corps rechignera à cet effort complètement inhabituel le jour où il en ira de notre vie. De même, nous avons tous une capacité de désobéissance, mais le jour où il faudra désobéir au nom de la justice, nous serons comme ankylosés par une vie de soumission à l'autorité, à la norme standard, aux règlements imbéciles ou à l'inanité de la loi. Face à ce constat, l'anthropologue états-unien James C. Scott propose une hygiène de la désobéissance, qu'il appelle  "callisténie anarchiste", définie en ces termes :
"Chaque jour, si possible, enfreignez une loi ou un règlement mineur qui n'a aucun sens, ne serait-ce qu'en traversant la rue hors du passage piéton. Servez-vous de votre tête pour juger si une loi est juste ou raisonnable. De cette façon, vous resterez en forme ; et quand le grand jour viendra, vous serez prêts."