La vérité peut blesser, davantage même que le mensonge
d’après le dicton. Or l’amitié implique, pour la plupart des gens, le désir de
faire du bien à notre ami, en tout cas d’éviter de le faire souffrir. Pourtant la
sincérité semble aussi être une condition de l’amitié. Alors comment concilier ces
deux impératifs apparemment contradictoires ?
L’amitié relevant d’une alliance, qui n’a ni l’intensité
du serment amoureux, ni la légèreté du contrat hédonique entre potes, occupe
une place étroite entre l’amour et le copinage. C’est sans doute pourquoi nous
ne pouvons pas avoir beaucoup d’amis, contrairement à ce que Facebook voudrait nous
faire croire. L’amour, le copinage et l’amitié se distinguent aussi par leur
rapport à la vérité.
L’amour – je parle ici du lien amoureux, et non de l’amour
envers ses enfants ou ses parents -
implique, pour le sens commun, un serment implicite d’exclusivité et
surtout d’exhaustivité : tout se dire, être transparent l’un pour l’autre.
Le copinage, basé sur un contrat hédonique – faire du temps
passé ensemble un plaisir réciproque -, ne survit pas à la vérité qui blesse, et
qui en marque forcément la fin. Mais qu’en est-il s’agissant de l’amitié ?
L’alliance amicale s’appuie, selon moi, sur deux
piliers : la bienveillance et la sincérité. Ainsi la vérité qui blesse n’est
justifiée que par ses effets potentiellement bénéfiques, de même qu’une potion
amère à visée thérapeutique. Autrement dit, la bienveillance envers nos amis
limite l’exigence de sincérité. Nous avons à prendre soin de notre ami, aussi, avant
de dire ou de taire une vérité qui risque de le blesser, il faut peser son
effet « pharmaceutique » : agira-t-elle comme un poison ou comme
un médicament ?
Toute vérité n’est pas bonne à dire à ses amis.