jeudi 27 novembre 2014

Devons-nous dire la vérité à nos amis ?



La vérité peut blesser, davantage même que le mensonge d’après le dicton. Or l’amitié implique, pour la plupart des gens, le désir de faire du bien à notre ami, en tout cas d’éviter de le faire souffrir. Pourtant la sincérité semble aussi être une condition de l’amitié. Alors comment concilier ces deux impératifs apparemment contradictoires ?
L’amitié relevant d’une alliance, qui n’a ni l’intensité du serment amoureux, ni la légèreté du contrat hédonique entre potes, occupe une place étroite entre l’amour et le copinage. C’est sans doute pourquoi nous ne pouvons pas avoir beaucoup d’amis, contrairement à ce que Facebook voudrait nous faire croire. L’amour, le copinage et l’amitié se distinguent aussi par leur rapport à la vérité.
L’amour – je parle ici du lien amoureux, et non de l’amour envers ses enfants ou ses parents -  implique, pour le sens commun, un serment implicite d’exclusivité et surtout d’exhaustivité : tout se dire, être transparent l’un pour l’autre.
Le copinage, basé sur un contrat hédonique – faire du temps passé ensemble un plaisir réciproque -, ne survit pas à la vérité qui blesse, et qui en marque forcément la fin. Mais qu’en est-il s’agissant de l’amitié ?
L’alliance amicale s’appuie, selon moi, sur deux piliers : la bienveillance et la sincérité. Ainsi la vérité qui blesse n’est justifiée que par ses effets potentiellement bénéfiques, de même qu’une potion amère à visée thérapeutique. Autrement dit, la bienveillance envers nos amis limite l’exigence de sincérité. Nous avons à prendre soin de notre ami, aussi, avant de dire ou de taire une vérité qui risque de le blesser, il faut peser son effet « pharmaceutique » : agira-t-elle comme un poison ou comme un médicament ?
Toute vérité n’est pas bonne à dire à ses amis.

jeudi 6 novembre 2014

Les manifs sont-elles une pathologie de la démocratie ?



En régime démocratique, l’opinion publique s’exprime « normalement » par le vote ou la participation à des instances délibératives. Alors, en se rassemblant sur la voie publique, un groupe de citoyens manifeste qu’il s’estime pas - ou mal - pris en compte dans une décision. Par ce moyen, il entend faire pression sur ceux qui sont en charge de la décision. Cette pression se mesure quantitativement par le nombre d’individus mobilisés, et s’évalue qualitativement par le fait de braver la loi, d’affronter physiquement la police, ou de détruire des biens matériels. Ainsi la manif’ exprime concrètement le degré de colère de ceux et celles qui s’estiment oubliés, sacrifiés, dans le processus décisionnel, ou d’indignation de ceux et celles qui se posent en défenseurs de certains biens, certaines valeurs, jugés inaliénables et, comme tels, soustraits à la sphère de la décision politique. L’actualité récente offre de nombreux exemples de ces deux catégories de manifestation : l’éco-taxe, les agriculteurs en colère, la manif pour tous, le barrage de Sivens, l’aéroport Notre Dame des Landes, la ferme des 1000 vaches,… Tous ces cas relèvent du même schéma : l’opposition à une décision prise dans un cadre démocratique,…. au nom d’une « vraie » démocratie. Ces manifestations se présentent donc elles-mêmes comme le symptôme d’une pathologie du système démocratique. Qu’en est-il ?
Pour préserver la stabilité de la communauté, la décision démocratique, qui prétend dépasser le dissensus par la délibération, doit in fine obtenir l’accord tacite de ses opposants. Mais le processus démocratique bute sur un point aveugle : il n’est pas juste qu’une majorité arithmétique, passive ou peu impliquée, impose purement et simplement sa décision à une minorité fortement engagée et passionnée. Au-delà de la crise de légitimité de l’institution et de ses « élites », c’est ce point aveugle de la démocratie que manifeste la manifestation.