jeudi 3 avril 2014

Peut-on savoir quelque chose sans y croire ?



Clément Rosset affirme dans un petit bijou de philosophie intitulé Le réel et son double qu’il n’est « Rien de plus fragile que la faculté humaine d’admettre la réalité ». Cette thèse se vérifie en moultes occurrences à l’échelle de l’individu, mais c’est à celle des sociétés qu’elle devient absolument évidente. En effet, l’Histoire confirme abondamment la capacité d’auto-aveuglement des hommes quant à ce qui leur pend littéralement au nez. Mais jamais auparavant, le dédoublement cognitif entre ce que nous savons et ce que nous croyons n’a été aussi abyssal : la destruction de la nature à l’échelle planétaire, prophétie d’autant plus forte qu’elle relève d’un savoir scientifique sur-documenté. Cette aveuglante évidence reste en effet purement théorique, puisque nous nous révélons collectivement incapables d’en tirer les implications pratiques en termes de comportement, à savoir la nécessité d’une modération drastique de notre consommation matérielle et énergétique, non pour éviter la catastrophe – elle est déjà en cours – mais pour en limiter les conséquences futures.
Nous savons mais nous n’y croyons pas… suffisamment pour accepter de changer notre point de vue sur le monde, nos formes de vie et nos habitudes. L’aveuglement volontaire se dédouble et se renforce d’une paresse de la volonté. Ainsi nous préférons croire au capitalisme « éco-responsable », aux voitures « propres », aux éoliennes, au recyclage, aux produits bio… pour ne rien changer.
Mais c’est au niveau politique que l’aveuglement volontaire atteint son paroxysme : notre système s’avère intrinsèquement incapable de penser et d’agir vis-à-vis des catastrophes à venir car les coûts de l’action préventive sont énormes alors que les gains politiques sont nuls. En effet, étant donné que ce qu’on a évité n’a aucune visibilité, empêcher un évènement d’advenir est totalement contre-productif en matière électorale. Pire : appeler à la modération de la consommation, agir pour la diminution du « vouloir d’achat », remettre en question la sacro-sainte croissance réductrice de chômage… au prix de la destruction du monde, sont suicidaires en matière électorale.

1 commentaire:

  1. Je ne suis pas aussi pessimiste que toi dans les possibles de la politique. C'est pourquoi j'ai toujours milité et que j'adhère à Nouvelle Donne qui semble proposer une autre voie (Edgar Morin)...

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