jeudi 23 mai 2013

Faut-il résister ou s'adapter à la suprématie de l'anglais ?



L’indignation abstraite est dans l’air du temps (cf. la conversation 72), elle fait feu de tout bois, son nouvel objet : la langue française. Celle-ci serait menacée par l’invasion (ir)résistible de l’anglo-américain, invasion à laquelle le gouvernement actuel collaborerait activement par un projet de loi instituant l’obligation de cours en anglais à l’université, comme cela se pratique ailleurs en Europe. Nouvel accès de panique morale (cf. le texte de Claude Hagège), ou acceptation réaliste de la nécessité d’une langue véhiculaire internationale ? La suprématie linguistique de l’anglo-américain dans le monde est un fait ; la question est de savoir s’il faut s’y adapter ou y résister ?
-       Les réalistes pointent que le projet de loi ne concernerait qu’1% des cours, que les universités françaises attirent moins les étudiants étrangers du fait de la barrière linguistique, que le niveau d’anglais de nos élites est notoirement faible.
-       Les résistants répondent que c’est un pas de plus sur la pente du déclin international de la langue française, que le français a été et reste encore une langue internationale, donc d’enseignement supérieur, et qu’il appartient à l’Etat de la promouvoir comme telle.
Il me semble que la suprématie de l’anglais n’est pas un fait moralement neutre, elle relève d’une américanisation du monde, elle véhicule des valeurs et une représentation du monde à laquelle il faut résister : en un mot le consumérisme effréné. Par ailleurs, je sais que lire un article ou un ouvrage sérieux, suivre un discours de haut niveau dans une langue que l’on ne maîtrise pas parfaitement, implique forcément une perte de compréhension. Ainsi en Allemagne où l’anglais à l’université est utilisé massivement, une étude réalisée auprès d’étudiants en médecine a révélé que 25% d’un texte en anglais leur échappent.
Cependant je n’idéalise pas la langue française, un idiome issu du latin de cuisine, imposé aux forceps aux populations des campagnes et aux peuples colonisés. En fait le vrai sujet qui pourrait passionner les citoyens serait l’instauration d’une langue européenne, langue symbolique commune, élément décisif d’une identité européenne, enseignée partout. Ce ne peut pas être l’anglo-américain, mais pas non plus le français ou une autre langue d’un pays dominant ; je propose le grec ! Une façon de rendre honneur à la Grèce, berceau de l’Europe, injustement sacrifiée sur l’autel de la rigueur.

jeudi 9 mai 2013

Quel indigné êtes-vous ?



L’indignation morale est le nouvel impératif catégorique de la société médiatique avancée. L’injonction hessélienne fait consensus : Indignez-vous, pour n’importe quoi, mais indignez-vous ! Et de fait, pour la belle âme, spectatrice des JT, pas une semaine ne se passe sans une nouvelle occasion de s’indigner : le voile islamique, Depardieu, Cahuzac, le mariage pour tous, l’opposition au mariage pour tous,…Mais peut-on mettre dans le même sac toute colère ayant une connotation morale ?
Pour y voir plus clair, je propose de distinguer l’indignation abstraite et l’indignation concrète ; la première s’éveille lorsque des principes auxquels nous tenons sont bafoués, la seconde lorsque la dignité humaine d’une personne n’est pas respectée, la réaction spontanée face au mal fait à l’autre à l’étranger, à celui qui n’est rien pour moi - à distinguer de la simple colère que nous ressentons lorsque c’est à nous, ou à l’un de nos proches, que le mal a été fait.
L’indignation abstraite, c’est celle du musulman face aux caricatures de Mahomet, du catholique face au dé-sacrement du mariage, ou à l’opposé celle de l’athée face à la panique morale du précédent, celle du citoyen face à la prévarication, la pusillanimité et l’égoïsme des puissants, de la bien-pensance écolo-bobo face aux OGM, aux centrales nucléaires, de la parano face au complot planétaire…
L’indignation concrète, c’est celle du juste qui cache une famille juive inconnue, du militant qui aide des sans-papiers, du courageux quidam qui intervient quand quelqu’un se fait agresser devant lui, c’est celle qui me saisit en ce moment face à l’effondrement de l’immeuble qui a enseveli des centaines de petites mains, des esclaves qui fabriquent nos habits, qui ne déclenchera aucune manifestation ni aucun débat télévisé.
Indignez-vous, indignons-nous ! Mais n’oublions pas que c’est au nom de l’indignation abstraite, celle des principes et des belles idées, que l’on sacrifie allègrement l’individu.