L’indignation
abstraite est dans l’air du temps (cf. la conversation 72), elle fait feu de
tout bois, son nouvel objet : la langue française. Celle-ci serait menacée
par l’invasion (ir)résistible de l’anglo-américain, invasion à laquelle le
gouvernement actuel collaborerait activement par un projet de loi instituant l’obligation
de cours en anglais à l’université, comme cela se pratique ailleurs en Europe. Nouvel
accès de panique morale (cf. le texte de Claude Hagège), ou acceptation
réaliste de la nécessité d’une langue véhiculaire internationale ? La
suprématie linguistique de l’anglo-américain dans le monde est un fait ;
la question est de savoir s’il faut s’y adapter ou y résister ?
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Les
réalistes pointent que le projet de loi ne concernerait qu’1% des cours, que
les universités françaises attirent moins les étudiants étrangers du fait de la
barrière linguistique, que le niveau d’anglais de nos élites est notoirement
faible.
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Les
résistants répondent que c’est un pas de plus sur la pente du déclin
international de la langue française, que le français a été et reste encore une
langue internationale, donc d’enseignement supérieur, et qu’il appartient à l’Etat
de la promouvoir comme telle.
Il me semble
que la suprématie de l’anglais n’est pas un fait moralement neutre, elle relève
d’une américanisation du monde, elle véhicule des valeurs et une représentation
du monde à laquelle il faut résister : en un mot le consumérisme effréné. Par
ailleurs, je sais que lire un article ou un ouvrage sérieux, suivre un discours
de haut niveau dans une langue que l’on ne maîtrise pas parfaitement, implique forcément
une perte de compréhension. Ainsi en Allemagne où l’anglais à l’université est
utilisé massivement, une étude réalisée auprès d’étudiants en médecine a révélé
que 25% d’un texte en anglais leur échappent.
Cependant je n’idéalise
pas la langue française, un idiome issu du latin de cuisine, imposé aux forceps
aux populations des campagnes et aux peuples colonisés. En fait le vrai sujet
qui pourrait passionner les citoyens serait l’instauration d’une langue
européenne, langue symbolique commune, élément décisif d’une identité
européenne, enseignée partout. Ce ne peut pas être l’anglo-américain, mais pas
non plus le français ou une autre langue d’un pays dominant ; je propose
le grec ! Une façon de rendre honneur à la Grèce, berceau de l’Europe, injustement
sacrifiée sur l’autel de la rigueur.