D’après l’institut
IPSOS (cf. le lien ci-dessus), 70% des
Français se sentent proches de l’idée selon laquelle « il y a trop
d’étrangers en France » ; d’autres résultats du même sondage « mettent
en évidence » une défiance générale envers les élites politiques (62%) et médiatiques
(72%), l’idée que la religion musulmane n’est pas compatible avec « les
valeurs de la société française » (74%), une méfiance envers les
institutions européennes (65%), et une quasi-unanimité : 87% des Français sont d’accord avec l’idée
selon laquelle « on a besoin d’un vrai chef en France pour remettre de
l’ordre ». Ainsi tous les éléments psycho-sociaux de l’entre-deux-guerres,
semblent à nouveau réunis, sur un fond de chômage de masse. Face à ces signaux
alarmants, j’éprouve deux sentiments opposés :
-
D’abord
une révolte de la raison critique contre la fabrique de l’opinion. Comme disait
Bourdieu, « L’opinion publique n’existe pas » : les sondages
sont des artefacts, mais surtout ils produisent des artefacts, des opinions qui
n’existent pas forcément dans l’esprit des sondés tant qu’on ne leur a pas posé
une question qu’ils ne se posaient peut-être pas, et à laquelle ils ont été sommés
de répondre vite, intuitivement, sans pouvoir prendre le temps de la réflexion.
Enfin la publicité du sondage renforce la puissance d’influence d’une idée
vague qui n’était pas élaborée, un réflexe conditionné. On dit alors que « Les
Français pensent que… », la prophétie devient auto-réalisatrice.
-
D’un
autre côté, j’ai l’intuition qu’une certaine « vérité » se manifeste
à travers ce sondage, il me semble qu’il saisit bien quelque chose de l’air du
temps. Les ressemblances entre la période actuelle et les années trente doivent
au moins nous faire réfléchir. Il y a manifestement aujourd’hui, comme hier, une
généralisation du rejet des élites perçues comme corrompues et cosmopolites, une
défiance grandissante envers la démocratie et les étrangers - dans ce scénario
macabre, les musulmans occupent au fond aujourd’hui la place des juifs avant-guerre
dans l’imaginaire psycho-social.
L’idéal des
Lumières, celui d’une hospitalité universelle visant une paix perpétuelle, s’éloigne-t-il
à nouveau ?