jeudi 1 mars 2012

A quoi sert le vote utile?

L’appel au « vote utile » nous rappelle opportunément que, d’un point de vue strictement rationnel, le vote individuel est inutile. En effet, le poids de mon suffrage rapporté au scrutin global est équivalent à celle d’une goutte d’eau dans un bain ou celle d’un grain de sable dans un tas : quasiment nul. Alors, si aller voter est pragmatiquement inutile, comment expliquer que cela soit considéré comme l’acte démocratique par excellence ? C’est, à mon avis, pour compenser la confiscation des pratiques authentiquement démocratiques : la participation à la fixation de l’ordre du jour, à la délibération et à la décision sur les sujets les plus cruciaux du point de vue de la souveraineté ou de la préservation des biens communs.
En ce sens, l’« utilité » du vote utile ressemble fort à celle de l’idiot utile pendant la guerre froide. La bonne conscience - en l’occurrence, le remord antérograde de celui ou celle à qui on ne refera pas le coup d’avril 2002 - sert la préservation d’un système de pouvoir. Bref, si le FN n’existait pas, les conseillers en communication l’inventeraient illico.
Peut-on sauver le vote utile de l’insignifiance ou de la manipulation ? Je réponds oui, à condition de donner à l’utilité son sens politique le plus noble : ce qui sert l’intérêt général. Quel serait aujourd’hui l’intérêt général bien compris ? Qu’est-ce qui dépasse ma conviction personnelle - de gauche ou de droite - érigée abusivement en norme du bien commun ? C’est la régénération de notre démocratie.
Ainsi, voter utile consiste à voter pour un(e) candidat(e) de gauche ou de droite qui s’engage clairement pour le non-cumul dans le temps et l’espace des mandats électifs, pour la promotion du référendum d’initiative populaire, pour la consultation systématique de l’ensemble des citoyens – plutôt que le peuple, autre entité mythique – avant tout transfert de souveraineté, en assumant le risque que celui-ci se prononce pour des options que je n’approuve pas.

2 commentaires:

  1. Salut,

    Ce qui est quasiment inutile au niveau individuel peut être puissant au niveau collectif : les gouttes s’additionnent. Ainsi, le vote de chaque citoyen est quasiment inutile, mais le vote de l’ensemble des citoyens est crucial.

    D’accord qu’il faut voter pour des démocrates.

    Tu passes quand même rapidement sur la question du vote utile dans le sens de voter pour un candidat qui n’est pas celui qu’on préfère, mais qui a une chance de vaincre un autre candidat qu’on aime encore moins. Pour l’instant, je ne vois pas l’actualité de cette question pour la prochaine présidentielle, puisque à ma connaissance aucun candidat ne s’est engagé avec précision pour un véritable droit de référendum d’initiative populaire (il n’y a donc pas pour l’instant de candidat démocrate à la présidentielle). Mais dans le principe, il peut y avoir un douloureux dilemme.

    J’aime ton « en assumant le risque que celui-ci [l’ensemble des citoyens] se prononce pour des options que je n’approuve pas ». C’est la démocrate attitude.

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  2. Tu fais référence à la « méthode de Condorcet » - http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9thode_Condorcet -
    qui devrait s’appliquer dès lors qu’il n’y a pas de candidat idéal, c’est-à-dire quasiment toujours. Le problème c’est que ce système à choix multiple débouche sur un paradoxe http://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_de_Condorcet
    qui le rend inopérant.
    Je crois que le problème tient à l’exigence d’un candidat idéal, celui ou celle qui réunit tous les critères sans exception. Il vaut peut-être mieux adopter un critère évaluatif – plutôt que normatif – et voter pour le/la candidat(e) le/la plus démocrate, c’est-à-dire qui réunit le plus de critères. Le RIP est un critère très important, je suis d’accord avec toi, mais il y en a d’autres : le non cumul des mandats dans le temps et l’espace, la volonté affirmée de favoriser le participation des citoyens, d’engager un processus de réforme constitutionnelle, d’organiser des référendums pour toute décision engageant la souveraineté. En fait, si l’on accepte l’idée que la démocratie est un processus plutôt qu’un état, on peut dès lors juger de ce qui la renforce ou de ce qui l’affaiblit. Non ?
    Enfin quant au référendum à choix multiple -
    Pour éviter un choix purement binaire, il est possible de proposer un format de référendum "multi-choix". Les options proposées seraient de type "oui = proposition tout à fait acceptée", "oui mais ce n'est pas une priorité", "non = proposition tout à fait rejetée", "non = la formulation est à revoir", "non = pas prioritaire, à ajourner".
    Ainsi la prise en compte des réponses intermédiaires entre le oui et le non servirait à nuancer les réponses, à prendre conscience de l'état des forces en présence et donner la possibilité de continuer la délibération avant un deuxième scrutin quelques mois plus tard. Cela évite qu'un groupe de pression trop fougueux ou une élite trop puissante exerce un contrôle sur l'opinion publique.
    Il évite à mon avis le paradoxe de Condorcet, car il n’est qu’un premier tour dans un processus long, qui permet de connaître l’état des forces en présence, un sondage grandeur réelle. C’est un critère important dans la prise de décision, car nous ne sommes pas des individus isolés, nous avons besoin de savoir ce que pensent les autres pour nous déterminer. Non ?

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